Monday, October 21, 2013

La nostalgie heureuse

Tout ce que l'on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. À l'âge de cinq ans, quand on m'en arracha, je commençai à me le raconter. Très vite, les lacunes de mon récit me gênèrent. Que pouvais-je dire du pays que j'avais cru connaître et qui, au fil des années, s'éloignait de mon corps et de ma tête ? (...)“

“Je n'avais plus mis les pieds au pays du Soleil levant depuis décembre 1996. Nous étions en février 2012. Le départ était fixé au 27 mars. Seize années sans Japon. La même durée qu'entre mes cinq et mes vingt et un ans, qui m'avait fait l'effet d'une traversée du désert. (...) Quand on m'a proposé ce reportage sur les traces de mon enfance japonaise, j'ai accepté pour une raison simple : j'étais persuadée que le projet serait refusé par la chaîne de télévision. J'étais à cette époque à un stade de mon cerveau où je valais moins que rien : personne ne miserait un euro sur moi. (...) En janvier, l'équipe m'avertit que France 5 acceptait. Je tombai des nues. J'allais donc vraiment retourner au Japon. Sidérée, je m'aperçus que cette perspective, à laquelle je n'avais jamais cru, m'enthousiasmait.” [ Extraits des premières pages ]

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J'ai découvert Amélie Nothomb avec le superbe film Stupeur et tremblements d'Alain Corneau (IMdB, bande annonce et extraits sur Youtube). Jusqu'alors, je ne sais pourquoi, j'avais cru qu'elle était une auteur américaine ou britannique, très populaire, qui parlait bien français (un peu comme Kristin Scott Thomas) et qui était un peu dingue. Le film m'avait intrigué parce qu'il traitait du Japon et que je croyais le réalisateur québécois. Après avoir visionné le film (que j'avais emprunté à la bibliothèque) j'étais suffisamment impressionné pour faire quelques recherches et découvrir que non seulement Corneau était français mais encore que le film était basé sur le roman très autobiographique de Nothomb, qui était en fait une auteur belge, quoique plutôt excentrique et névrosée! Comme quoi qu'on ne peut pas toujours être dans l'erreur.

Son père étant diplomate belge en poste au Japon, Amélie Nothomb est née dans l'archipel nippon, plus précisément dans la banlieue de Kobe. Elle y passa les cinq premières années de son existence. Elle fut extrêmement traumatisée lorsque son père fut relocalisé en Chine, puis ailleurs, et qu'elle dû quitter ce Japon tant aimé. Pendant “les années qui ont suivi cet exil, j'ai souffert au-delà du dicible” nous dit-elle. Toutefois, vers le milieu des années '90, elle décida d'y retourner et se trouva un emploi de traductrice dans une firme Japonaise à Tokyo. C'est là qu'elle vécu l'enfer corporatif nippon, où les salaryman et les ōeru sont cruellement abusé pendant les premières années de leur service, afin de les “briser” et qu'ils deviennent les employés serviles, malléables et robotisés typiques du Japon. Elle survécut en se jetant mentalement dans le paysage urbain tokyoïte et en découvrant l'écriture où elle épanchait ses frustrations. Elle finit par raconter cette expérience dans le roman Stupeur et tremblements (qui fut très mal reçu au Japon), qui éventuellement devint aussi un film. Elle cru qu'elle ne reviendrait jamais au Japon...

J'ai eu vent pour la première fois de La nostalgie heureuse en lisant un article dans Le Monde (et éventuellement un autre dans le Huffington Post) qui annonçait un documentaire de France 5 où l'équipe de télévision suivait Amélie Northomb alors qu'elle effectuait un retour au Japon. Intitulé "Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux", le reportage de cinquante-deux minutes réalisé par Luca Chiari nous montre une Amélie Nothomb qui, au printemps 2012, retrace ses souvenirs d'enfance, retrouve sa nounou Nishio-san, son fiancé Rinri, elle visite le quartier de sa jeunesse à Kobe, son école primaire, le pavillon d'or, une pièce de théâtre Nô, la corporation où elle travailla à Tokyo, et même le village dévasté de Soma près de Fukushima.

Elle se rassure: ses souvenirs, s'ils sont un peu devenu fiction par le processus littéraire, sont néanmoins réels; elle a bel et bien vécu son enfance au Japon. Et surtout, en un rare interview du genre, elle se confie. Elle nous parle de la correspondance qu'elle entretiens avec ses lecteurs, de l'agression sexuelle dont elle a été victime au Bangladesh, de l'anorexie qui l'affligea adolescente, de ses démons intérieures et que "l'écriture est un moyen de me vider de toute la souillure que je contiens." On découvre un personnage tourmenté né de l'instabilité d'une vie nomade, en proie à une profonde crise d'identité et d'estime de soi, à des angoisses sans fin. Tout “cela a développé un attachement au langage et, par conséquent à la littérature. Le langage était ma seule conscience stable. Le mot c'est vraiment la chose. C'est aussi pour cela que j'ai tellement besoin d'écrire" L'écriture est sa thérapie, la façon d'exprimer sa musique intérieure.

La nostalgie heureuse est le pendant littéraire à ce voyage cathartique. Elle relate le déroulement du tournage, nous fait de nouvelles révélations (entre autre elle développe beaucoup plus sur ses retrouvailles avec Rinri, qui avait refusé de prendre part au reportage télévisé) mais passe plusieurs éléments du reportage sous silence. Elle entr'ouvre encore un peu le voile sur son processus de pensée intérieur, sur ses souffrances personnelles. Elle exprime une profonde nostalgie, dont on ne sais pas trop si elle est traumatique ou heureuse. Et je me demande quelle est la différence entre un roman autobiographique et une simple autobiographie. Cela veut-il dire que le récit est romancé et, si oui, dans quelle mesure?

Je comprend bien pourquoi Amélie Nothomb est une auteur si populaire. On sympathise et on s'identifie un peu à elle. Après tout nous avons tous nos moments sombres, nos craintes et nos démons intérieurs. Une douce folie. Une soif de rédemption par l'écriture passive ou active. Mais je dois toutefois avouer qu'elle est un personnage incroyablement égocentrique. Toutes ses histoires sont autobiographiques à un niveau ou à un autre, et elle fait la couverture de tout ses livres! Par contre, elle a une belle écriture, simple et fluide, qui est empreinte de beaucoup d'images. La nostalgie heureuse est un livre intime, beau et touchant que j'ai lu d'une seule traite en un peu plus d'une heure (c'est assez court, cent-cinquante-deux pages mais en caractère plutôt gros). Je le recommande. Pour ma part, je suis intrigué et aimerais bien en lire plus. Elle a écrit une vingtaine d'autres ouvrages. Trouverais-je le temps?

La nostalgie heureuse, par Amélie Nothomb. Paris, Albin Michel, août 2013. 20 x 13 cm, 162 pg., 16,50 € / $24.95 Can. ISBN: 978-2-226-24968-5.

Pour plus d'information vous pouvez consulter les sites suivants:

La nostalgie heureuse © Éditions Albin Michel, 2013.

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